Généathème : Salon de l’agriculture, une estimation de grains

18 février 2022 3 Par elodie
Généathème février 2022 : Salon de l'agriculture

A l’occasion du Salon de l’Agriculture de Paris qui se déroulera du 26 février au 6 mars 2022, Généatech propose de parler de nos ancêtres agriculteurs et des récompenses agricoles pour le Généathème de février.

Je n’ai, à ma connaissance, aucun ancêtre ayant reçu une distinction agricole, en revanche j’ai ÉNORMÉMENT d’agriculteurs/laboureurs/cultivateurs. Le vrai défi est donc de choisir de qui parler et sous quel angle attaquer ce thème.

Vous êtes-vous déjà penché sur leur travail au quotidien ? Ce qu’ils cultivaient, à quel moment, en quelle quantité ? C’est ce que je vais tenter de faire dans cet article.

J’ai choisi de m’arrêter sur le couple Jacques ROGER x Anne MALENE, laboureurs de la commune de Montigny-le-Guesdier en Seine-et-Marne, ayant vécus entre 1680 et 1750.

Jacques ROGER et Anne MALENE : un couple représentatif du village

Pourquoi avoir choisi ce couple ? Premièrement parce que je dispose d’un certain nombre de documents les concernant, ce qui, avouons-le, est très utile pour écrire un article. Mais surtout parce qu’ils ne semblent pas sortir du lot des habitants de la commune. Ils ne sont pas spécialement plus riches ni plus pauvres et ne paraissent pas cultiver plus ou moins de terres que les autres laboureurs (je ne parle pas ici des manouvriers ou des vignerons).

Jacques et Anne naissent respectivement en 1682 et 1685 à Montigny-le-Guesdier, proche de Bray-sur-Seine et dépendant du diocèse et de l’Évêché de Sens, à la frontière de l’Ile-de-France et de la Bourgogne, et s’y marient le 26 novembre 1710. Ils auront 8 enfants avant qu’Anne ne décède le 28 septembre 1725.

Inventaire après décès et estimation de grains

C’est l’inventaire après décès d’Anne, réalisé le 26 novembre 1725, qui m’apporte les premiers éléments pour comprendre le quotidien de leur profession.

Parmi les nombreux objets énumérés, je me suis attardée sur la dernière partie de la description :

[…] A estée déclaré parledit ROGER quil a la quantité
de trente deux arpens de ble froment d’emblavez
la quantité de quatorze arpens de seigle aussy
d’emblavez.
Et une demy arpent de lentilles aussy demblanvez
[…]

J’ai alors fait le rapprochement avec un autre acte en ma possession : une estimation de grains en date du 27 octobre 1726, correspondant exactement à la description de ces champs.

Voici ce qui est dit sur l’estimation de grains :

[…] ils y ont en leur
consciences proceddé apres avoir vu et visité touttes

les pieces d’emblavement en presence desd parties
qui leurs en ont fait la demonstrance avant la moisson
de la presente année et apres avoir juré et affirmé
en leur ames et conscience devant les nores

soussignez declarent quils estiment que chacun arpens
de bled froment peut produire vingt cinq boisseaux
chacun arpen, et cinq cent de bottes de pailles

pour lesd trente deux arpens de bled. Chacun arpen
de seigle quatorze boisseaux et cent cinquante de bottes
de pailles pour lesd quatorze arpens, et trois boisseaux
pour led demy arpens de lentilles. Le tout en la

mesure du marché et _ de Bray […]

L’inventaire après décès décrit également précisément le nombre de bêtes possédées par le couple :

  • 6 chevaux
  • 3 vaches mères
  • 90 brebis/moutons/agneaux
  • 2 porcs
  • 12 poules
  • 2 coqs
  • 3 cannes

Je peux déduire que les chevaux étaient utilisés pour les travaux des champs ; les vaches, porcs et volailles devaient servir pour la consommation personnelle de la famille. En revanche 90 ovins me paraissent légèrement excessif pour une dizaine de personnes… Le couple ne se contentait donc pas de cultiver les terres louées, il élevait également des moutons.

C’est un bon début. J’ai des surfaces cultivables, des types de cultures et même le rendement. J’ai pu déterminer que Jacques et Anne étaient laboureurs et éleveurs. Le seul problème c’est que les termes utilisés sont assez obscurs pour une petite parisienne du XXIe siècle. Alors oui je sais qu’un arpent est une unité de mesure de surface, qu’un boisseau fait référence à une quantité de grains, mais de là à me représenter les quantités… Il reste un long chemin à faire…

C’est d’ailleurs souvent le problème avec les actes de cette époque. Les unités ne correspondent à rien de familier.

Des unités connues

L’arpent est une ancienne mesure agraire utilisée principalement avant la Révolution. Elle sert également dans d’autres pays mais je vais me concentrer sur l’Hexagone.

Sa conversion en ares n’est pas aisée puisque l’arpent n’est pas identique partout et passe donc de 32 à 78 ares en fonction de la localité et de la période. Rien qu’en Ile-de-France, qui nous intéresse ici, trois arpents coexistent :

  • L’arpent de Paris : 34,19 ares
  • L’arpent commun : 42,21 ares
  • L’arpent royal ou « légal » : 51 ares

Montigny-le-Guesdier se trouve à la limite de la région, mais il y a de très fortes probabilités que la mesure utilisée soit une de celles-ci. [MAJ 01/03/2022] D’après les travaux d’Annick LARNICOL dans « Une seul poids une seule mesure » pour le Cercle de Généalogie et d’Héraldique de Seine-et-Marne, l’arpent utilisé à Bray-sur-Seine était celui de Paris (ou proche puisque 1 arpent = 34.17 ares).

Le couple cultivait donc chaque année entre 11 et 16 hectares de froment ; 5 à 10 hectares de seigle et 17 à 25 ares de lentilles. Soit environ 15 à 26 hectares de terres.

Le couple cultivait donc chaque année 11 hectares de froment ; 5 hectares de seigle et 17 ares de lentilles. Soit environ 16 hectares de terres.

Attaquons-nous maintenant à la production de ces champs. D’après le bulletin trimestriel n°50 de la Société des Amateurs de Folklore et Arts Champenois de 1976, il a existé plusieurs valeurs pour le boisseau à Bray-sur-Seine (commune limitrophe et dont le marché sert de référence pour l’estimation) en fonction de la période. Ici aussi je vais devoir me contenter d’une fourchette.

L’ancienne mesure fait correspondre 1 boisseau à 26,01 litres et son utilisation est attestée en 1423. Dans la « nouvelle », 1 boisseau équivaut à 20,07 litres à la Révolution. Je pense que la dernière est plus proche de celle utilisée par notre couple, mais je n’en ai aucune certitude.

L’estimation de la récolte pour l’année 1726 est donc :

  • 25 boisseaux de froment = 502L à 650L = 392kg à 507kg
  • 14 boisseaux de seigle = 281L à 364L = 219kg à 284kg
  • 3 boisseaux de lentilles = 60L à 78L = 47kg à 61kg
  • 650 bottes de paille

Une histoire de dates

Pourquoi ne pas avoir pu estimer la récolte directement au moment de l’inventaire ? Tous simplement parce que les céréales venaient juste d’être semées. Le couple ayant loué à leur deux noms les terres ci-dessus mentionnées, la récolte devait obligatoirement être inscrite dans la succession d’Anne MALENE.

Mais impossible de l’estimer aussi tard dans l’année. En effet le froment se sème au mois d’octobre et le seigle à partir de septembre. Les grains n’avaient donc pas encore germé lors du décès d’Anne.

Il a donc été décidé d’évaluer la quantité obtenue peu avant la récolte des trois espèces. La récolte du froment se fait en juillet, celle du seigle fin juin/début juillet et celle des lentilles de fin juillet à mi-septembre.

Ce sont Eloy JOUY et Jean Baptiste CHARPENTIER, deux autres laboureurs du village, qui ont été désignés pour faire ce travail, qu’ils ont effectué le jour de la Saint-Barnabé : 11 juin, suffisamment proche de la date de maturité pour pouvoir avoir une bonne idée du rendement des champs.

Conclusion

Je peux déduire de cet inventaire après décès et de l’estimation de grains qui a suivi un certain nombre de choses sur le travail « quotidien » de ce couple et par extension de ceux de la commune.

Les terres cultivées ne leur appartenaient pas bien sûr, elles étaient louées principalement au seigneur local ou aux différentes fabriques des environs et s’étendaient sur une superficie de 16 hectares divisée en petites parcelles. Je n’ai pas encore fait l’inventaire complet des baux passés par ce couple pour voir s’il ne louait que des champs pour la culture ou s’il y avait également des pâturages pour les bêtes.

Comme nous l’avons vu, il cultivait principalement trois variétés de céréales : le froment, le seigle et les lentilles. Les semailles commençaient avec le seigle en septembre et se poursuivaient en octobre avec le froment. Les graines passaient donc l’hiver dans le sol, ce qui, en cas de gel important, pouvait causer la perte de la récolte et entrainer de grosses famines dans le pays (comme en 1709). Pour les lentilles, je ne sais pas trop, elles se sèment normalement à partir de mars, mais il est précisé dans l’inventaire d’Anne que les champs sont déjà emblavés en novembre, ce qui est aussi trop tard pour les récoltes puisqu’elles sont censées se dérouler de fin juillet à mi-septembre. Pour le froment et le seigle la récolte s’étale sur juin et juillet. La production sur une année est comprise entre 650 et 1000 litres de céréales. A savoir également que pour la période de 1725 à 1729, les moissons semblent avoir été dans la norme d’après « Contexte France » de Thierry Sabot. L’été 1725 a visiblement été catastrophique, mais rien n’est précisé pour 1726.

Pour aider aux champs et notamment au labour, Jacques et Anne semblaient utiliser des chevaux plutôt que des bœufs.

Enfin la culture n’était pas leur seule source de revenus, puisqu’avec un troupeau de 90 moutons, ils devaient certainement vendre de la laine mais aussi des bêtes. Ici les enfants du couple ont sûrement été mis à contribution pour garder et faire paître le troupeau. La proximité d’un grand marché comme celui de Bray-sur-Seine devait sans doute être d’une grande aide pour trouver acquéreur pour la farine, la laine ou les bêtes. L’élevage des ovins est d’ailleurs resté très longtemps ancré dans la vie du village puisque dans « Montigny-le-Guesdier : Histoire et géographie locale » écrit par R. POCHARD, instituteur du village, en 1917, on trouve dans la section agriculture :

« Les bestiaux sont assez nombreux et de beaux troupeaux de moutons paissent dans les champs« 

Montigny-le-Guesdier : Histoire et géographie
Montigny-le-Guesdier : Histoire et géographie, R. POCHARD, AD Seine-et-Marne, Az4311

J’espère que cette plongée dans les équivalences a été compréhensible et parlante pour vous. De mon côté je continue la récolte des actes notariés concernant ce couple pour en apprendre plus sur leur mode de vie.

Une mise à jour de l’article a été faite le 01/03/2022 pour affiner un peu plus la surface des terres cultivées.