Challenge AZ : Lettre G comme GABREUX Geneviève Catherine, retour aux délibérations municipales

7 novembre 2020 4 Par elodie

La semaine dernière, pour la lettre D, je vous ai présenté l’intérêt que peuvent avoir les délibérations municipales pour reconstituer le contexte historique de nos ancêtres. Aujourd’hui ce sont des détails sur la vie (ou la mort) de nos ancêtres, issus de ces délibérations dont je vais vous parler.

Quel généalogiste n’a pas rêvé de connaître la cause du décès de ses ancêtres ? L’État civil est assez muet sur ce point, dans de très rares cas l’indication d’une mort violente pourra être trouvée : noyade, incendie… Seules les mentions des morts pour la France, morts en déportation ou depuis 2012 des victimes de terrorisme sont inscrites sur l’acte. Sous l’Ancien Régime, les curés n’étaient pas beaucoup plus précis (à quelques exceptions près).

Il est parfois possible de déduire la cause du décès : lorsqu’une femme décède quelques jours après avoir mis au monde un enfant par exemple, où lorsqu’une source mentionne une épidémie dans la région et qu’une hausse du nombre de morts dans la commune ou au sein d’une même famille est constatée, mais ce sont des cas relativement rares.

J’ai eu la chance, dans les délibérations de Plailly, de pouvoir retrouver les circonstances de la mort d’une cousine de ma famille en 1790.

Geneviève Catherine (ou Marie Geneviève) GABREUX

La jeune fille qui nous intéresse aujourd’hui est née le 31 décembre 1767 et baptisée le lendemain sous le nom de Geneviève Catherine, mais se fait visiblement appeler Marie ou Marie Geneviève au cours de sa vie. C’est ainsi que la connaissent les habitants du village.

Le 16 décembre 1790, le conseil municipal est réuni en toute hâte par le procureur du village, sans doute alerté par les cris horrifiés de la population.

Gabreux Geneviève Catherine délibération municipale
Délibération municipale de Plailly du 16/12/1790, AD Oise, EDT120/1D2

« L’an mil sept cent quatre vingt dix le seize décembre une heure de relevée, Nous procureur de la commune, avons à la clameur publique requis, attendu l’absence de Marie Geneviève GABREUX, fille, et sur l’apperçue d’un corps étranger dans un puid situez dans un jardin appartenant à Geneviève DEFERT veuve GABREUX, et Jean Pierre GABREUX cidrier, le tout en commun, qu’il soit descendû dans ledit puid pour constater qu’el est ce cors etranger qui y git. Lequel procureur a requis le corps municipal de se transporter sur ledit lieu pour constater la verité du fait.
Ledit jour et an que dessus et a la même heure, sur la requisition a nous presentée, Nous officier municipaux soussignés, Philippe BERSON, Jean GARDEIL, Mathieu DORIVAL, et TURLIN procureur requérant, assisté de notre greffier ordinaire, nous étant transportés sur les lieux avons reconnus qu’il y avait dans ledit puid l’apparence d’un cadavre, avons ordonnée au nommé Denis HARLAY mannouvier de descendre dans ledit puid, ce qu’il a fait. Lequel a reconnu qu’il y avait vu un cadavre, et nous avons ordonnée que l’extraction en fut faite, ce qui a été executée. Lequel cadavre avons reconnu être le corps de Marie Genevieve GABREUX, fille de deffunt Jean Louis GABREUX cy devant carrier et de Genevieve DEFERT ses pere et mere de cette paroisse. Laquelle fille GABREUX est revenue chez sa mere du jour quatorze courant. Laquelle avait resté plusieurs années en service chez le Sr Denis LE GRAND marchand drapier rue Aubry le Bouché, en conséquence avons ordonnée que le sieur Marc FABRE maitre en chirurgie a la Chapelle en Serval, en ferait la visitte et nous en ferait son rapport. Lequel chirurgien apres avoir prêté le serment suivant l’usage nous lui avons enjoint de faire la visitte et de nous exposer autant que ses connaissances lui permettront l’etat actuel dudit cadavre et de nous en laisser son rapport détaillée. Lequel nous avons annexée au présent.


Nous Marc FABRE maitre en chirurgie de la paroisse de la Chapelle en Serval, a la requisition de Messieurs les officiers municipaux de la paroisse de Plailly, nous sommes transportés dans un jardin a Genevieve DEFERT veuve Jean Louis GABREUX pour visiter Marie Genevieve GABREUX qu’on venait de sortir d’un puid pour en faire mon rapport et juger de ses blessures. Nous avons trouvés qu’elle avait une luxation complette de le seconde vertêbre cervicale seule luxation mortelle sur le champ, de plus les deux jambes fracturés completement touts les deux au dessus des maleolles, de plus une contusion a l’oeil gauche, et ayant trouvé ledit cadavre froid et raide ce qui nous constate de la mort. En foy de ce nous avons signé notre raport sour servir et valoir, ce jour seize decembre mil sept cent quatre vingt dix.


Ledit jour et an que dessus trois heures de relevée en la salle ordinaire de la municipalité de Plailly, Nous officiers municipaux soussignée en l’absence de Mr le Maire, la séance presidée par Philippe BERSON, assistée de Jean GARDEIL, Mathieu DORIVAL, et Nicolas TURLIN procureur de la commune a conclue que l’hinumation en fut faite ; vû l’exposé du chirurgien raporteur avons reconnus que ladite Marie Genevieve GABREUX est decedée d’après une mort violente. En conséquence ordonnans que le sieur Pierre FOURNIER curé de cette paroisse ou ses ayans causes en fera l’hinumation dont extrait de la presente lui sera signiffiée par notre greffier
. »

On l’aura compris, Marie Geneviève GABREUX est tombée dans le puits familial et est décédée sur le coup, « heureusement » pour elle. Outre la cause du décès, cette délibération nous en apprend également plus sur sa vie avant l’accident. Elle était en effet embauchée depuis plusieurs années par un drapier de Paris, Monsieur Denis LE GRAND et est revenue dans son village deux jours plus tôt. Impossible pour moi de penser la chercher sur Paris. Voulait-elle faire sa vie dans la capitale et fuir la campagne ? Ou essayait-elle de se constituer une dot comme de nombreuses jeunes filles le faisaient à l’époque ?

Cet événement dramatique a dû fortement ébranler le petit village Picard. Mais était-ce vraiment un accident ? Voici ce que dit son acte de sépulture :

Gabreux Geneviève Catherine acte de sépulture
Acte de sépulture de Geneviève Catherine GARBEUX, Plailly 1766-1792 p253, AD Oise EDT120/1E5

« L’an mil sept cent quatre vingt six le jeudy seize decembre en vertu de l’ordonnance de messieurs les officiers municipaux de cette paroisse en datte de ce jour a nous signifiée et restée entre nos mains le corps de Gennevieve Catherine GABREUX de cette paroisse decedée hier a la suite d’un accès de délire agée de vingt deux ans onze mois et quinze jours fille de defunt Jean Louis GABREUX, carrier, et de Marie Geneviève DESFERS ses pere et mere, a été inhumé dans notre cimetierre en presence de Jean Pierre GABREUX son oncle et des officiers de l’eglise qui ont signe avec nous.« 

Que signifie ici « à la suite d’un accès de délire » ? Est-ce à prendre au sens premier ? Le curé essaye-t-il de dissimuler un suicide pour pouvoir l’inhumer normalement ? Est-ce tout simplement une maladresse qui l’a fait chuter ? Je n’aurai probablement jamais la réponse, mais grâce à cet acte j’ai pu sauver de l’oubli le destin tragique de cette jeune fille invisible de mon arbre.

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