Challenge AZ : Lettre J comme Journaux des Marches et Opérations
En ce 11 novembre, quoi de mieux pour illustrer la lettre J que de faire revivre la mémoire d’un soldat mort pour la France pendant la Première Guerre Mondiale ? Je vais vous parler d’Eugène LELIEVRE, soldat au 54e Régiment d’Infanterie. Afin de retracer son parcours je vais m’appuyer sur les journaux des marches et opérations (JMO), disponibles en ligne sur le site Mémoire des Hommes.
Tout d’abord que sont ces journaux ? Ils sont créés le 5 décembre 1874 et contiennent tous les faits, combats ou reconnaissances menés par un régiment au cours d’une campagne. Dans le cas présent je me suis basée sur celui du 54e RI.
Au cours de mes recherches j’ai également tenu compte des JMO du 67e RI qui est le régiment « lié » à celui d’Eugène. Il se trouve en cantonnement lorsque le 54e était sur le front et dans les tranchées lorsque Eugène est à Rupt-en-Woëvre. Le détail des blessés et des morts y est beaucoup plus précis que dans celui du 54e, ce qui permet de se faire une meilleure idée de la violence des combats dans cette zone. Ainsi, lorsque le 54e ne décrit rien de particulier, laissant penser qu’il n’y a pas eu de combats et donc pas de victimes, le 67e ne fait pas du tout le même constat.
Eugène LELIEVRE
Eugène naît le 1er juin 1882 à Claye-Souilly. C’est le premier enfant d’Ernest Alexandre, charcutier, et d’Adanaïs Uranie NOEL. Six frères et sœurs suivront ensuite.
Sans doute grâce aux relations de son père, il devient garçon boucher à Nanteuil-le-Haudouin dans l’Oise, puis déménage à Villers-Cotterêt. Le 28 septembre 1905, il épouse à Crepy-en-Valois Marie Edmée CHEVANCE, fille de Edmond Pierre Alexandre (l’oncle de Raoul présent à son conseil de famille) et Marie Adèle CHALOT, bouchers. De leur union naît en 1911 une petite Huguette Marie. C’est en août 1914 que sa vie, comme celle de milliers d’autres, bascule.
Le 54e Régiment d’Infanterie
Le 4 août 1914, la mobilisation générale est déclarée, les hommes sont appelés pour rejoindre leur régiment. Eugène quitte donc sa femme et sa fille pour se rendre dans la ville de Compiègne où est basé le 54e Régiment d’Infanterie.
Son régiment est composé de 3311 soldats sous les ordres de 60 officiers. Il est intégré à la 9e compagnie du 3e bataillon et reste en réserve dans la ville jusqu’au 12 septembre. La situation sur le front est de plus en plus compliquée, le 3e bataillon rejoint donc le reste du régiment à Vaux-Marie dans la Meuse.
La veille une pluie terrible s’est abattue sur la région, inondant complètement les tranchées. La première mission d’Eugène sur le terrain consiste donc à les renforcer par des pare-éclats construits grâce aux portes et volets récupérés dans le village de Marat-la-Petite. Il pleut toujours autant et un vent violent rend la situation encore plus pénible. La seule bonne nouvelle est l’absence de signe de présence ennemie.
Ce premier jour doit être un véritable choc pour Eugène, les débris utilisés pour les tranchées montrent que les villages voisins ont été ravagés par la guerre et qu’il y a déjà un manque de matériaux sur le front. Les conditions de vie sont au plus bas, les tranchées, le vent, la pluie forment un tableau bien sombre qui deviendra malheureusement le quotidien de tous les soldats de cette guerre. Mais Eugène et ses camarades n’en ont pour l’instant pas vraiment conscience comme le montre cette remarque écrite à la fin de la journée « On couche encore dans les tranchées« , ce n’est pas encore une habitude pour eux.
Du 13 au 16 septembre, le 54e RI enchaîne les cantonnements à Courcelles-sur-Aire, Landrecourt-Lempire, puis Douaumont sans que les Allemands ne soient repérés. Les journées pluvieuses s’enchainent… Le 17 et le 18 un ouragan balaye la région. Quand enfin le temps semble se calmer, le 21 septembre, le 3e bataillon d’Eugène reçoit l’ordre de se porter au carrefour de la tranchée de Calonne et du chemin de Mouilly-les-Eparges car les ennemis ont été vus dans la zone.
Le 22 septembre une offensive est lancée sur Saint-Remy. Ce sont les 1er et 2e bataillons qui mènent l’assaut, tandis que le 3e reste en soutien de l’artillerie dans les tranchées au carrefour du chemin des Eparges. Si le 2e bataillon parvient à son objectif, le 1er doit se replier vers 12h30 après avoir perdu les trois quarts de ses effectifs. C’est visiblement le premier gros affrontement d’Eugène qui passe sans doute une nuit plus qu’agitée dans la tranchée du carrefour.
Le lendemain n’offre qu’un court répit aux membres de sa compagnie, car le 24 aux aurores, les 9, 11 et 12èmes compagnies subissent des feux d’artillerie de front et sur le flanc gauche, alors qu’ils couvraient la retraite du 67e RI, causant de lourdes pertes. Eugène et les autres survivants parviennent à rejoindre le reste du bataillon à la lisière de la forêt. Une attaque allemande doit encore être repoussée à 15 heures, ce n’est qu’à 18 heures que la retraite vers la ferme d’Amblonville est annoncée. Les hommes peuvent enfin bivouaquer dans le bois de Tilla après 20 heures.
Du 25 septembre au 31 octobre la situation reste inchangée pour Eugène et ses compagnons. Ils alternent trois jours en tranchées vers le bois de Saint-Remy et trois jours en cantonnement à Rutp-en-Woëvre. Ce roulement se fait avec le 67e RI.
A partir du 31 octobre, l’organisation du régiment subit quelques modifications. Les trois bataillons vont en effet effectuer un roulement, chacun occupant successivement la première ligne dans les tranchées, la deuxième en réserve à Mouilly et la troisième en cantonnement à Rupt. Cette rotation s’effectue tous les trois jours.
Le mois de novembre est marqué par cette routine pour Eugène sans évènement particulier. Le 1er décembre 1914, le refuge qu’offrait jusque-là la ville de Rupt est bombardé pour la première fois obligeant le 54e RI à creuser des tranchées de protection.
Entre le 3 et le 26 décembre, Eugène alterne les périodes de front dans une tranchée du secteur de Saint-Remy et le cantonnement à Rupt. Il a la chance de passer Noël en cantonnement, lui permettant de « profiter » des célébrations de la fête sans craindre pour sa vie. Mais en regardant le JMO du 67e RI, alors en première ligne, il ne semble pas y avoir eu de trêve de Noël sur ce front car il est fait état d’un mort et deux blessés pour la journée du 25.
Le 26 au matin, le général JOFFRE (qui n’était pas encore maréchal) ordonne une attaque sur les lignes ennemies pour tenter de faire avancer la ligne de front. L’assaut est mené par les 1er et 2e bataillons, le 3e reste en réserve. Malheureusement l’offensive ne se passe pas comme prévue.
Elle débute à 7h30 après 30 minutes de préparation et se fait par compagnies successives. A 13 heures, elle est finalement stoppée, le feu des mitrailleuses ennemies et les réseaux de fils de fer non détruits ayant empêché la progression du régiment. Celui-ci retourne donc dans la tranchée et subit un violent bombardement vers 18 heures. Les hommes se réfugient dans les boyaux d’accès pour passer la nuit et restent en réserve du 67e pour parer à toutes éventualités de contre-attaque allemande. L’attaque est décrite beaucoup plus précisément par le 67e qui fait état de 26 morts, 50 blessés et 2 disparus pour son régiment. Les pertes du 54e doivent être assez proches.
Le retour au cantonnement de Rupt se fait le 30 décembre et le 31 le régiment est réuni en armes pour recevoir les félicitations du général HUGUET pour les combats du 26.
En Janvier 1915, le 54e RI relève dans les tranchées le 67e les 1er, 7, 13, 19, 25 et 31 pour une durée de 3 jours à chaque fois. L’activité principale se porte sur les travaux d’aménagement des tranchées à la suite de l’attaque du 26 décembre, notamment dans celle de Calonne. On agrandit les postes d’écoute pour porter la 1ère ligne à une distance de 30 mètres en avant. La question de l’hygiène devient préoccupante comme le prouve cet extrait du 20 janvier du 67e RI : « Cantonnement à Rupt ; la grande préoccupation du Lieutenant-Colonel est de faire nettoyer les soldats et de leur permettre d’avoir du linge propre. » Ce n’est que le 2 février que les « travaux pour installation d’un séchoir pour le linge de corps lavé sont commencés« .
Le 3 février le 67e vient relever le régiment d’Eugène. Si cette opération se fait sans incident, elle n’est pas des plus aisées. En effet, les opérations de relève se déroulent toujours le soir pour profiter de l’obscurité, mais les côtes de Meuse sont éclairées par un grand nombre de projecteurs allemands. Ajoutons à cela les fusillades régulières pour essayer d’occasionner un maximum de pertes.
Le 8 février à 16 heures, le génie français fait exploser un fourneau de mine en avant d’une sape dans le but de combattre les travaux de mine des allemands. Une erreur de calcul dans la quantité d’explosifs entraine une déflagration si forte qu’un entonnoir de six mètres de diamètre est formé. L’ennemi en profite pour s’infiltrer et une demi section composée de 15 volontaires leur fait barrage. Les combats pour l’entonnoir durent jusqu’au 9 où un tir de grenade très meurtrier oblige le 54e RI à l’évacuer. Une barricade est construite à l’entrée de la sape pour en interdire l’accès. Dans la nuit du 10, la lutte continue à coups de grenades. Le 67e vient prendre le relais le 11 à la nuit tombée.
Eugène retourne dans les tranchées le 16 février mais n’aura pas de relève avant le 27. En effet si ce front semble relativement calme, le 67e RI qui devait effectuer les relèves est retenu sur le front des Eparges où les combats sont terribles.
A partir de mars la durée de garde dans les tranchées passe de 3 à 4 jours, c’est une terrible nouvelle pour Eugène qui voit le temps passé en enfer s’allonger cruellement. Le début du mois est consacré aux préparatifs d’une attaque qui permettrait de consolider les avancées faites par le 67e aux Eparges.
L’économie est faite partout pour pouvoir aligner le plus de fusils possible comme l’indique le JMO du 67e au 1er mars : « Le régiment reçoit 300 hommes de renfort. Ils viennent aux tranchées le soir même pour augmenter autant que possible le nombre de fusils à mettre en ligne. Dans le même but le nombre des cuisiniers est réduit au minimum, 1 par section ; et sur les 2 cuisiniers d’une 1/2 compagnie, l’un est un musicien« .
Les pertes gigantesques subies par l’Armée depuis le début de la guerre se font sentir : « Les hommes de renfort reçus par le régiment sont de bien inégale valeur : quelques-uns sont d’anciens blessés revenant de dépôts. C’est le meilleur élément. D’autres viennent du service auxiliaire, soit même de la portion de réforme. Parmi ces derniers la moitié fournie d’assez bons éléments. Les derniers éléments ont fait quelques tirs, mais ne savent pas se servir du magasin d’approvisionnement« .
L’opération sur les Eparges est déclenchée le 18 mars à 16h30. Le 3e bataillon d’Eugène est positionné sur la crête de Montgirmont. Devant le peu de résultats du reste de la compagnie aux Eparges, le bataillon est appelé en renfort à la tombée de la nuit, mais la marche est très pénible et se fait par un boyau. Il doit traverser un barrage d’artillerie ennemie qui lui occasionne de terribles pertes dont son chef le commandant BOIZARD (ou BOISSARD) et presque tous les officiers. Certains se perdent et s’enlisent dans le « ravin de la mort« . De rudes corps à corps se livrent dans la nuit, sur les pentes et la crête, jonchées de cadavres. Le point X, âprement disputé, passe plusieurs fois des uns aux autres. La bataille continue ainsi jusqu’au 20 mars.
Le 18 ou le 19, en essayant de conserver quelques mètres trop chèrement défendus, Eugène est grièvement blessé. Il décède des suites de ses blessures le 19 mars 1915 après avoir passé 6 mois dans l’enfer des tranchées.
Sa femme touchera un secours le 28 octobre 1915 et il sera décoré de la croix de guerre à titre posthume le 9 novembre 1921 pour souligner son courage.
Une source incontournable pour mieux comprendre le parcours de nos poilus. Un bel hommage en ce 12 novembre !
Bravo Élodie. Beau travail, bel hommage
Amitié
Merci beaucoup pour ce commentaire ^^
Bel hommage à Eugène Lelièvre et à tous les autres.
Bel hommage.
Journaux des marches et opérations, passage obligé
Cartes postales, passage plaisir pour moi
Et pourtant je n’ai jamais songé à chercher les cartes postales des régiments où sont passés mes ancêtres.
Merci pour l’idée
Je ne le fais pas systématiquement, mais ça fonctionne bien pour la Première Guerre Mondiale.