Challenge AZ : Lettre E comme Enchères

5 novembre 2020 9 Par elodie

La source la plus connue, et souvent la plus utilisée, pour pouvoir se représenter le quotidien de ses ancêtres est l’inventaire après décès. Véritable « photographie » d’une maison après la mort d’un de ses habitants, il permet d’avoir une vue complète des possessions de celui-ci. Mais ce n’est pas ce document dont je vais vous parler aujourd’hui (j’y reviendrai bientôt).

Comment faire lorsque le notaire n’a pas établi d’inventaire, par exemple lorsqu’il n’y a plus d’enfant mineur, ni de conjoint au moment du décès ?

Les biens mobiliers ne sont presque jamais décrits dans les actes de succession, mais avec un peu de chance, une vente aux enchères a pu être organisée à cette occasion. On peut alors avoir une description de l’intégralité du mobilier de la maison, peut-être moins détaillée et sans la disposition des pièces, mais qui peut tout de même être source de découvertes inattendues sur les habitudes de vie de nos ancêtres.

Vente aux enchères du mobilier de Jean Baptiste Eloy CARPENTIER

Jean Baptiste Eloy CARPENTIER est mon Sosa 194. Il s’éteint dans son village natal d’Auchy-la-Montagne (Oise), le 6 mars 1851 à l’âge de 64 ans. Veuf depuis 10 ans, père de 3 enfants encore vivants, tous majeurs, aucun inventaire après décès n’est réalisé. C’est en lisant son acte de succession, daté du 1er septembre 1851, que j’apprends l’existence de la vente aux enchères de son mobilier.

Jean Baptiste Eloy CARPENTIER Succession - vente aux enchères
Acte de succession de Jean Baptiste Eloy CARPENTIER, AD Oise, 3Q6570

Du premier septembre 1851
Fut présent CARPENTIER Jean Baptiste, charron à Auchy, comparant tant pour lui que pour Appoline et Marie Rose CARPENTIER ses sœurs, propriétaires au dit lieu, lequel a déclaré que Jean Baptiste Eloi CARPENTIER son père est décédé, ab intestat [sans testament], à Auchy, le 6 février 1851 et que par son décès, sa succession se liquide ainsi qu’il suit :  
Mobilier propre :  
Celui vendu aux enchères, suivant procès-verbal reçu ROBERT notaire à Crèvecœur, le seize mars 1851, enregistré le dix-huit suivant, moyennant la somme de quatre cent dix-sept francs soixante-quatorze centimes. Reçu à ce _ quatre francs vingt centimes.  
Immeubles propres non affermis à Auchy  
Sept ares quinze centiares de terre en __, planté en bois, __ Capital (impôt compris) cent vingt francs. Reçu à __ un francs vingt centimes. Le comparant a affirmé sa déclaration sincère et véritable, sous toutes les peines de droit et a signé.

Dix jours après le décès de Jean Baptiste Eloy, Maître Auguste Mélior ROBERT, notaire à Crèvecoeur-le-Grand, organise dans la cour de la maison la vente du mobilier de mon ancêtre sur la demande des personnes suivantes :

  • Louis Joseph PREVOST, clerc de notaire, représentant Appoline CARPENTIER, fille du défunt ne pouvant être présente car détenue dans la maison centrale de Clermont (au même endroit que Marie Marguerite CHÉRON).
  • Jean Baptiste Désiré CARPENTIER, charron à Auchy, fils du défunt.
  • [Jean François] Isoré VÉRITÉ, garde-champêtre à Fontaine-Saint-Lucien, et Marie Rose CARPENTIER, gendre et fille du défunt, desquels je descends.

107 lots sont mis en vente, en regardant la liste des acheteurs, il semble que seuls les voisins et les membres de la famille se soient déplacés pour y assister. Les héritiers ont également le droit d’enchérir, le couple VÉRITÉ a pu acquérir ceci :

  • Une couverture pour 85 centimes,
  • Deux hectolitres de blé pour 17 francs 50 centimes,
  • Quarante-cinq litres de vesce pour 6 francs 65 centimes, (la vesce est un genre de plante vivace cultivée pour ses fruits, une sorte de fève, dans l’alimentation humaine, ou pour du fourrage pour les bêtes)
  • Soixante-huit bottes de trèfles pour 5 francs,
  • Un tas de bois pour 80 centimes,
  • Quatre-vingt-dix gerbées pour 9 francs 50 centimes,
  • Le fumier de la cour pour 8 francs 25 centimes,
  • Une génisse pour 62 francs,
  • Deux hectolitres de cidre sans le tonneau pour 7 francs,

Au total la vente aura rapporté 397 francs et 85 centimes, montant inscrit dans l’acte de vente. On peut noter une petite différence avec la somme annoncée dans la succession qui est de 417 francs et 74 centimes.

Ce que l’on peut déduire de la vie de Jean Baptiste Eloy CARPENTIER

En regardant de plus près le produit de la vente et sa répartition entre les objets du quotidien et ceux utilisés pour une activité agricole, je constate que la principale « richesse » de mon ancêtre repose sur ses outils et récoltes et non sur son mobilier : 322 francs et 50 centimes contre 65 francs et 35 centimes.

Jean Baptiste Eloy semble être assez représentatif des habitants de son village, ni plus riche, ni plus pauvre que la moyenne. D’après les actes d’État Civil, il exerçait le métier de charron. Je ne retrouve pas de mention d’outils spécifiques à sa profession dans cette vente, mais son fils, Jean Baptiste Désiré, étant lui-même charron à Auchy, il est possible qu’il les lui ait transmis avant sa mort. Il serait donc intéressant que je pousse les recherches dans les minutes des notaires.

Il possédait quelques animaux : deux poules et une génisse (lot le plus cher de la vente), ce qui laisse à penser qu’il consommait des œufs. On peut ajouter à son alimentation des légumes tels que des haricots (2 paniers), des carottes (1 panier) et des pommes de terre (2 paniers), ainsi que l’aliment de base de l’époque, le pain (4 paniers). Le cidre semble être une boisson importante dans la région, 10 hectolitres sont vendus ce jour-là, on ne retrouve pas de trace de vin ou d’autre boisson.

Jean Baptiste Eloy possédant quelques terres, il est possible que le blé (7 hectolitres), l’orge (3 hectolitres) et l’avoine (3 hectolitres) vendus proviennent de sa propre production, du moins en partie. Il gardait visiblement les bottes de paille (340 gerbées) pour nourrir sa génisse et utilisait un moulin à vanner pour séparer le blé des impuretés.

Moulin à vanner - vente aux enchères
Tarare ou moulin à vanner 1850

On peut également en apprendre plus sur les « nuisibles » de la région. La vente d’une ratière prouve la présence de rongeurs, ce qui n’étonnera personne, mais plus surprenant, la présence de deux pièges à loups laisse à penser que l’animal peuplait les forêts du nord de l’Oise.

Mon ancêtre possédait également des livres (vendus 15 centimes), ce qui confirme qu’il savait lire, information dont je me doutais en voyant sa signature assez assurée présente sur divers actes.

Jean Baptiste Eloy CARPENTIER signature
Signature de Jean Baptiste Eloy CARPENTIER, acte de vente 1829, AD Oise

J’apprends aussi qu’il ne possédait pas de lit, mais une simple paillasse, vendue avec le traversin 50 centimes. Celle-ci était recouverte d’une toile (1 franc 20 centimes) et de draps (3 paires vendues 13 francs 45 centimes), pour se tenir chaud il ajoutait sans doute une couverture, voire deux lorsqu’il faisait très froid. L’une devait être de meilleure facture que l’autre car elles ont été vendues 85 centimes et 10 centimes.

J’ai également un petit aperçu des vêtements que portait Jean Baptiste Eloy, même si, contrairement à un inventaire après décès, je n’ai ni le type de tissu, ni la couleur. Ont été vendus pour 10 francs et 85 centimes :

  • 1 paire de moufles,
  • 1 paire de gants,
  • 1 paire de souliers,
  • 3 blouses,
  • 4 pantalons,
  • 3 paires de bas,
  • 2 vestes,
  • 1 gilet,
  • 6 chemises
  • 1 bonnet à ruches.
Exemple de bonnet à ruches (ou ruché), sans doute plus élaboré que celui de Jean Baptiste Eloy

Enfin, la vente me permet de me faire une meilleure représentation de l’intérieur de sa maison. Très peu de meubles : une armoire, trois chaises, un tabouret, une table et la paillasse. L’essentiel des petits objets sont liés à la cuisine : assiettes, fourchettes, bouteilles, terrines, marmite, chaudron, etc..

Sans aucune certitude, j’imagine donc que la maison de Jean Baptiste Eloy CARPENTIER n’était composée que d’une unique pièce, peut-être deux.

Conclusion

Je ne pensais pas pouvoir en apprendre autant sur la vie de mon ancêtre grâce à cette vente aux enchères. J’ai découvert beaucoup de petits détails qui peuvent également m’aider à me représenter la vie des membres de cette famille dans les années 1850. Ce qui m’a le plus interpelée dans son mobilier est sûrement la présence de pièges à loups ainsi que les hectolitres de cidre, mais ce qui est sans doute le plus intéressant d’un point de vue généalogique est la mention de l’incarcération d’Appoline CARPENTIER, sa fille, dont je n’avais absolument pas connaissance et qui fera l’objet d’un article très prochainement.

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