Challenge AZ : Lettre I comme Inventaire après décès

10 novembre 2020 5 Par elodie

Aujourd’hui j’attaque un gros morceau, l’un des documents les plus convoités par les généalogistes. Bon peut-être pas par tous, disons par moi. Celui qui nous fait le plus entrer dans l’intimité de nos ancêtres : l’inventaire après décès.

Comme mentionné dans l’article E, l’inventaire n’est pas systématique. Il est réalisé principalement lorsque l’un des héritiers du défunt est encore mineur. C’est une source fantastique pour se représenter le quotidien mais aussi pour retrouver les actes notariés d’une famille.

Inventaire après décès d’Alice Marguerite CHALOT

Alice Marguerite CHALOT - Photo
Alice Marguerite CHALOT

Alice décède le 22 juin 1906 des suites d’une maladie sur laquelle je n’ai pas d’information. Il faut attendre six mois pour qu’un inventaire après décès soit réalisé dans l’appartement de Montrouge situé avenue de la République n°38. Si celui-ci vous semble familier, rien de plus normal car il s’agit de celui loué avec le local de la boucherie dont je vous ai parlé dans la lettre B.

L’inventaire se déroule sur quatre jours, du 4 à 7 décembre inclus. S’il est si long à réaliser c’est à cause des nombreux papiers de famille que le notaire a eu l’obligeance de retranscrire scrupuleusement, un grand merci à lui ! Mais commençons par le début.

Inventaire après décès d'Alice Marguerite CHALOT
Photo pochette (toujours aussi kitsch) de l’inventaire après décès d’Alice Marguerite CHALOT, minute Me THOMAS, 3E/MON_1344

Le mobilier

L’inventaire se fait de pièce en pièce, chaque objet y est consigné avec l’estimation de son prix :

Dans la cave
Deux cent litres de vin rouge, cent cinquante bouteilles vides et un chantier de buis prisés cinquante-neuf francs.

Dans la cuisine
Une table, un buffet bois blanc, une casserole en cuivre, batterie et ustensile de cuisine en fer battu fonte et fer émaillé, un pot-au-feu en cuivre, un pot en terre, un moulin à café, un filtre à café, deux pots à lait émail, une chaise bois et paille, un sceau (sic) et une pelle à charbon, deux bassines en zinc, un bougeoir et menus objets et un fourneau à gaz, le tout estimé trente-cinq francs.

Dans une petite cour
Une malle, deux brocs et un baquet prisés deux francs.

Dans le passage
Un étau, deux crochets en fer, une romaine et une scie prisés neuf francs.

Dans l’entrée
Une table en bois blanc, deux jarres en terre et une échelle prisés deux francs.

Dans la salle à manger
Une table ronde à rallonges, quatre tabourets fonds en bois, trois chaises fonds paille, un coffre à pain, le tout prisé avec les rideaux de vitrage et d’intérieur et une petite glace cadre bambou trente francs.

Dans un placard
Un lot d’assiettes faïences, une soupière, un saladier, quelques bouteilles et verres prisés trois francs.

Dans une chambre au premier
Un lit de milieu plaqué chêne avec sommier un matelas de laine, deux oreillers, un traversin, une paire de draps, une couverture de laine, un édredon prisé le tout avec une table de nuit chiffonnière en chêne quatre-vingt-dix francs.
Une armoire normande en chêne sculpté avec cuivre et fronton, une armoire à glace en noyer ciré, une petite table bois blanc et un coffre-fort, le tout prisé cent soixante-dix francs.
Une pendule avec candélabre en bronze, quatre sous-verres prisés avec les rideaux de vitrage en mousseline brodés et deux chaises rembourrées trente-cinq francs.

Linge de ménage
Six paires de draps, douze serviettes, une nappe, douze taies d’oreillers, six serviettes de toilette et six torchons le tout prisé cinquante francs.

Linge de corps de la défunte
Six chemises, trois cache-corsets, deux corsets, six paires de bas, quatre mouchoirs, trois pantalons, quatre mouchoirs de cou et six flanelles le tout prisé vingt francs.

Linge de corps de M. LE BOUTEILLER
Six chemises, six flanelles, six paires de chaussettes, quatre caleçons, douze mouchoirs de poche le tout prisé vingt francs.

Garde-robe de la défunte
Deux jupes, quatre jupons, quatre tabliers, deux robes noires, un manteau et un lot de chaussures et chapeaux le tout prisé vingt-cinq francs.

Garde-robe de M. LE BOUTEILLER
Deux pantalons, deux gilets, un complet noir, un complet fantaisie, un pardessus prisé avec casquettes, chapeaux et chaussures vingt-cinq francs.

Bijoux
Une chaine or pour dame, une alliance et une bague or prisées vingt francs.
Une montre et chaine or pour homme, une alliance et une bague chevalière prisées quarante-cinq francs.
Total de la prisée six cent quarante francs.

En dehors de l’aspect purement descriptif qui me permet de me faire une idée de l’intérieur de l’appartement d’Alfred et Alice, quels sont les informations que je peux tirer de cet inventaire ?

Tout d’abord qu’au moins l’un des époux aimait le café grâce à la présence de moulin et de filtre à café dans la cuisine. Cette boisson est de plus en plus consommée à la fin du XIXe et au début du XXe, surtout en ville.

Ensuite que la famille devait se chauffer ou utiliser des appareils de cuisine au charbon, mais avait une cuisinière à gaz. Il n’y avait visiblement pas beaucoup de cuisinières de ce type chez les Français de l’époque, celles-ci arriveront principalement à l’entre-deux guerres. L’ordre des pièces visitées laisse penser que la cuisine se trouvait au rez-de-chaussée.

Le contenu de la cave montre également que le couple buvait du vin rouge (et non du cidre comme les CARPENTIER). Je n’arrive pas à me rendre compte si la quantité retrouvée est importante pour une famille aisée de l’époque. Mais la présence d’alcool et la description de la vaisselle en faïence me laisse imaginer qu’ils devaient aimer recevoir.

On peut également remarquer un mobilier et une décoration soignée, notamment dans la chambre avec les rideaux de mousseline et les chaises rembourrées.

Passons maintenant à la garde-robe des époux. Elle correspond parfaitement à la mode parisienne des années 1900.

Mobilier commercial et industriel

Alice CHALOT étant propriétaire du fonds de commerce de la boucherie au même titre que son époux, le notaire procède à l’inventaire du mobilier et des marchandises du magasin. Il fait appel à des « experts » pour en faire l’estimation : Emile LAUTOUR et Arthur PAIGNET, marchands bouchers, demeurant tous deux dans la rue de la République. La proximité de leur logement laisse penser qu’il s’agit d’employés de la boutique.

Mobilier et matériel industriels dans la boucherie
Deux étaux avec outils de boucherie estimés deux cents francs avec une caisse et une chaise
Trois tables en marbre soixante-quinze francs.
Deux balances avec leur série de poids en cuivre cinquante francs.
Une glacière deux cents francs.
Deux fourchettes à décrocher la viande, un jeu de tringles, divers crochets, deux rallonges en fer et deux cents rallonges en fer forgé, cinq allonges à bœuf estimés cinquante francs.

Dans l’abattoir rue Sadi Carnot
Un cheval noir hors d’âge, un cheval gris âgé de six ans prisés trois cents francs.
Deux petites voitures à deux roues prisées quatre cents francs.
Un treuil pour monter les bœufs avec tinnets et établis, deux petits étaux et divers matériels de l’abattoir treize cent vingt-cinq francs.

Marchandises
Un bœuf mort de trois cent vingt-cinq kilogrammes estimé quatre cent cinquante francs.
Un veau de quatre-vingt kilogrammes estimé cent soixante francs.
Quatre moutons de vingt kilogrammes chacun estimés cent cinquante francs.
Vingt gigots de moutons pesant environ quarante kilogrammes prisés quatre-vingt francs.
Quarante kilogrammes de veau détaillés soixante francs
Trente kilogrammes de bœuf vingt-quatre francs.
Un bœuf vivant prisé quatre cents francs.
Six moutons vivants prisés deux cents vingt-huit francs.
Total de la prisée des marchandises quinze cents cinquante-deux francs.

Estimation du fonds de commerce
Enfin après avoir pris connaissance des livres de commerce et s’être renseignés auprès de M. LE BOUTEILLER requérant, M. HONDÉ greffier priseur et MM LAUTOUR et POIGNET experts ont dit qu’eu égard au temps restant à courir au bail, la valeur du fonds de commerce de marchand boucher exploité par M. et Madame LE BOUTEILLER composé de la clientèle ou achalandage et droit au bail des lieux où s’exploite le fonds peut être porté à douze mille francs, en ce, non compris les loyers d’avance ni le matériel et les marchandises. En conséquence le greffier priseur et les experts ont estimé le fonds de commerce dont s’agit à la somme de douze mille francs.

L’inventaire des marchandises donne de précieuses informations sur les articles proposés en boutique. J’apprends que l’on pouvait principalement y trouver de la viande de bœuf, de veau et de mouton, mais visiblement pas de porc ni de cheval (celles-ci étant vendues dans les charcuteries et les boucheries chevalines). Également, la viande devait en grande partie venir de l’abattoir qui se trouvait à quelques mètres de la boucherie. Enfin la description des meubles permet de se représenter l’aménagement du magasin.

Inventaire et analyse des papiers

Une autre partie TRÈS intéressante pour le généalogiste est l’analyse des papiers. Il s’agit de l’inventaire et de la transcription des actes notariés et contrats du défunt. Autant dire une mine d’informations pour retrouver des actes inconnus jusque-là mais également ceux introuvables.

Voici la liste des pièces transcrites :

  • Le contrat de mariage d’Alfred Victor LE BOUTEILLER et Alice Marguerite CHALOT, qui a disparu dans un incendie à Senlis et dont je pensais ne jamais pouvoir lire le contenu.
  • Une donation par Madame LE BOUTEILLER à son époux.
  • Un acte de donation de la mère d’Alice à ses enfants.
  • Un acte de licitation au profit d’Alice.
  • L’état liquidatif des communautés et succession CHALOT (père d’Alice).
  • L’acte de vente d’une maison.
  • L’acte d’acquisition du fonds de commerce.
  • Le bail d’une maison à Pantin dont ils étaient propriétaires. Acte sous seing privé qu’il n’aurait pas été possible d’obtenir autrement.
  • Le bail des locaux du fonds de commerce (cf lettre B).
  • Un contrat d’abonnement au gaz en date du 1er janvier 1906 « pour la fourniture de gaz nécessaire à son éclairage« . Mes ancêtres ne s’éclairaient donc pas à la chandelle !
  • Un justificatif des différentes contributions personnelles et professionnelles du couple.
  • Une police d’assurance incendie en date du 3 avril 1903 ce qui me donne une date assez précise pour leur emménagement.
  • Une police d’assurance accident, en date du 14 avril 1904, garantissant « le paiement des indemnités mises à sa charge à raison des accidents qu’il pourrait causer à autrui avec une voiture de commerce attelée d’un cheval« , « les accidents qui seraient causés par un tiers à son cheval et sa voiture« . L’ancêtre de l’assurance auto tout risque !

Grâce à cet inventaire après décès, j’ai pu en apprendre plus sur le quotidien de mes AAGP, que ce soit au sein de leur vie privée ou de leur travail à la boucherie. Les différents actes et contrats mentionnés (et retranscrits) dans ce document m’ont également permis d’aller chercher les originaux quand c’était possible, mais surtout de me faire découvrir le contenu de ceux ayant disparus depuis longtemps.

Pour aller plus loin et en apprendre plus sur les inventaires après décès et ce qu’ils peuvent nous révéler, je vous conseille le livre de Jean-Louis BEAUCARNOT : Entrons chez nos ancêtres.

Inventaire après décès - Entrons chez nos ancêtres JL BEAUCARNOT
Entrons chez nos ancêtres, Jean-Louis Beaucarnot, Lattès, 2010

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