L’Exode
En Juin 1940, Monique, petite fille âgée de 7 ans, a quitté son logement de Montrouge en bordure de Paris avec son frère Claude, et sa mère Germaine, pour passer les vacances à Pont-sur-Yonne, commune du nord de l’Yonne, d’où est originaire sa famille. Sa mère a grandi non loin de là et chaque été, sans attendre la fin de l’école, elle emmène ses enfants prendre l’air de la campagne dans un petit appartement appartenant à sa sœur, situé 2 rue François Bernier. Raoul, le père des deux enfants, est mobilisé mais en convalescence à Dole (Jura) suite à une broncho-pneumonie contractée sur le front.
Depuis le début du mois, certains habitants sont pris de panique devant l’avancée allemande et quittent la ville. S’il n’y a encore eu aucun bombardement, la présence de grands réservoirs de pétrole sur les bords de l’Yonne, à la périphérie de la commune, en fait une cible de choix.
Le 14 Juin 1940 l’armée allemande entre dans Paris et se rapproche dangereusement de la ville. Les Pontois restants prennent la route. Les camions de la laiterie, dans laquelle travaillent les voisins ainsi que Daniel, le frère de l’oncle par alliance de Monique (Raymond), sont utilisés pour emmener les employés dans le midi. Ne voulant pas laisser une femme seule avec ses deux enfants, on propose à la famille de se joindre au groupe, on trouvera bien de la place pour deux petits enfants et une adulte ! Monique part donc avec sa mère, très réticente, son frère, des membres de la famille de son oncle, alors mobilisé, les voisins du dessus et leurs collègues ; le départ est donné en début d’après-midi.
C’est une trentaine de personnes qui s’entasse dans la Citroën de l’oncle et le camion de la laiterie :
- Dans le camion : Germaine, Rolande (sœur de Raymond), Marceline, Robert et leur fille Paulette (les voisins) et beaucoup d’autres, assis sur des bidons de lait.
- Dans la voiture : à l’avant Daniel, Simone (sa sœur), Claude (la fille de Simone sur ses genoux) et Claude, frère de Monique, âgé de 4 ans. A l’arrière se trouvent la mère et la grand-mère de Daniel ainsi que Monique qui se tient tant bien que mal debout car il n’y a plus de place assise. Un chat fait également partie du voyage, mais il disparaitra bien vite dès que l’occasion se présentera.
La voiture n’ayant pas d’essence (ou étant tout simplement en panne) on l’attache au camion. Ils voyagent ainsi jusqu’au soir pour rejoindre la ville de Montargis dans le Loiret. La nuit tombe alors qu’ils ne sont pas encore arrivés à destination, Monique aperçoit au loin un grand incendie, le ciel est rempli de fumée. Lorsqu’elle demande aux adultes ce qui est en train de brûler, on lui répond que ce sont les dépôts de pétrole de Pont-sur-Yonne. Impossible d’y croire, comment pourrait-elle voir un feu d’aussi loin alors qu’ils viennent de rouler tout l’après-midi et de parcourir plus de 50 kilomètres ? Ce sont les soldats français qui ont détruit les cuves afin que le dépôt ne soit pas pris par les Allemands, le pont de Pont-sur-Yonne est également détruit pour ralentir la progression ennemie.
Le lendemain, 15 Juin 1940, à 5h du matin, les forces allemandes bombardent Pont-sur-Yonne, faisant 56 victimes civiles, dont la cousine des voisins, venue à leur rencontre et qui logeait chez eux. Une bombe est tombée en plein sur la maison où ils se trouvaient quelques heures plus tôt. Arrivés à Montargis, ils doivent se résoudre à dormir dans un champ car personne ne peut loger autant de gens.
Le groupe cherche ensuite à traverser la Loire, comme la majorité de ceux jetés sur les routes de l’Exode, le fleuve royal semble être le dernier rempart face à l’avancée ennemie. La Marne avait réussi à contenir les Allemands 25 ans plus tôt, tous espèrent que la Loire fera de même. C’est également sur cela que compte le Gouvernement français. L’ordre est donc donné de couper les ponts les uns après les autres car l’armée adverse avance vite, trop vite. En arrivant à Cosne-sur-Loire, impossible de passer, le pont gît déjà au sol. Dans la foule ils rencontrent des voisins épiciers de Montrouge, le monde est petit ! Cherchant toujours à franchir le fleuve, ils le longent jusqu’à Nevers où le pont est miraculeusement encore intact (il sera détruit le 18 juin) et s’arrêtent pour la nuit, une fois en « sécurité » de l’autre côté.
Ne voulant plus voyager debout dans la voiture, Monique fait une « crise » à sa mère pour pouvoir monter avec elle dans le camion. Celle-ci finira par céder et Monique termine le voyage avec un peu plus de place sur les genoux de sa mère.
Le lendemain c’est à Moulins que s’arrêtent Monique et sa famille, en descendant de la voiture, on retrouve son petit frère, Claude, inanimé… Coincé à l’avant entre deux adultes corpulents, plus occupés à guetter les bombardements qu’à faire attention à un enfant de 4 ans dont la tête sert d’accoudoir à l’un d’eux, personne n’a remarqué sa détresse respiratoire. Heureusement sa mère parvient à le ranimer, la pluie semble également l’avoir aidé à revenir à lui. Sa mère et la voisine partent alors à la recherche de nourriture pour lui redonner des forces et parviennent à dénicher un peu de bouillie de lentilles.
Depuis leur départ de Montargis, le groupe est pris en tenaille entre l’armée allemande et l’armée française, il essuie donc de multiples tirs et bombardements de la part des stukas ennemis. Pour s’en protéger le seul moyen est de se jeter dans le fossé ou dans les champs bordant la route en espérant ne pas se faire toucher. Les soldats français, parfois mêlés à la population, s’emparent alors des enfants et les jettent sans ménagement hors de la route pour les éloigner des rafales, autant dire que la chute ne s’effectue pas forcément en douceur, les hommes se couchent sur eux pour les protéger au mieux.
Il faut ensuite retrouver sa voiture et son groupe, les enfants n’ayant pas forcément atterris à côté de leur famille, pas facile dans la panique de se retrouver. Beaucoup d’enfants ont été perdus pendant l’Exode, mais heureusement pour Monique et son frère, ils parviennent à chaque fois à rejoindre leur mère dans le convoi.
Il leur reste une centaine de kilomètres à parcourir pour atteindre Pontgibaud, petite commune du Puys-de-Dôme, où ils resteront près d’une semaine. Ne pouvant être logés dans une maison, ils s’installent dans une grange. C’est ici que Monique apprend à jouer au diablotin, seul jeu qu’elle avait pris soin d’emmener avec une petite poupée.
Ils sont ensuite envoyés vers Châtel-Guyon mais la ville ne peut les accueillir car elle manque d’eau, et ils sont alors redirigés vers Volvic, dernière étape de leur voyage qui représente 260 kilomètres à vol d’oiseau depuis Pont-sur-Yonne et plus de 400 kilomètres par la route.
Le groupe est d’abord installé par les équipes de la Mairie dans l’école où chacun est obligé de dormir par terre dans une salle de classe. L’armistice étant signée, les réfugiés repartent peu à peu chez eux. La mère de Monique, totalement désargentée, décide cependant de rester sur place et effectue une demande auprès de la Mairie de premiers secours qui lui sera accordée. La famille est alors relogée dans une maison à deux étages sans électricité. Heureusement, des soldats français séjournant en face réussissent à faire passer des fils à travers la rue pour leur installer une lampe. Monique reste sans doute jusqu’en août avant d’être rapatriée avec sa mère et son frère selon un plan établi par le gouvernement de Vichy.
Ils prennent le train en gare de Volvic pour rejoindre Vichy puis Moulins. L’itinéraire ensuite n’est pas très clair mais, après un voyage de 2 ou 3 jours, avec de nombreux arrêts, dont un très long à Moulins au niveau de la ligne de démarcation, ils arrivent finalement à Paris. Le train est très inconfortable, en bois, Monique est obligée de s’assoir par terre. Il n’y a pas non plus de toilettes, ce qui oblige les passagers à se soulager dans le pot de Claude. Monique refusant de se déshabiller devant tout le monde se retient pendant presque tout le trajet et ne craque qu’une fois entre les wagons, au niveau des tampons.
Monique ne retourne pas tout de suite à Pont-sur-Yonne et reste dans sa maison à Montrouge. Apprenant que l’appartement de campagne a été détruit dans le bombardement du 15 juin, Germaine décide d’y retourner afin de voir ce qu’elle peut récupérer. Elle se retrouve alors face à l’incompréhension des voisins restés pendant l’Exode… Tout le monde la pensait morte… La jeune femme retrouvée dans les décombres de la maison était méconnaissable, on a alors pensé qu’il s’agissait de Germaine, certains se sont bien sûr étonnés de ne pas voir les corps de ses enfants avec elle, mais personne n’a pris la peine de chercher plus loin.
Une fois le malentendu dissipé la mère de Monique retrouve quelques affaires encore enfouies sous les décombres ainsi que chez une voisine qui vient d’elle-même lui remettre les affaires qu’elle a pu récupérer (entre autre une machine à coudre). Contrairement à beaucoup d’autres, la famille n’a pas eu à subir le pillage de sa maison et a retrouvé facilement ses effets personnels grâce aux voisins bienveillants.
Monique, ma grand-mère, a aujourd’hui 87 ans. Comme beaucoup de personnes de son âge, l’Exode l’a profondément marquée. Bien sûr, elle était trop jeune pour tout comprendre, les adultes ont dû essayer de la préserver au maximum, mais je n’ose imaginer l’angoisse qu’elle a pu ressentir en traversant cette épreuve, tout comme celle de mon arrière-grand-mère (que j’ai connue) de partir sur les routes avec ses deux enfants sans son mari. Je la remercie pour ce témoignage infiniment précieux pour moi, pour ma famille mais également pour tous ceux qui s’intéressent à cette période. Son histoire est tout à la foi unique et malheureusement banale car elle donne une idée juste de ce que tous les réfugiés ont pu vivre pendant ces quelques jours ou semaines d’enfer.
C’est un récit extrêmement précieux, que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt ! Bravo.
Merci, ma grand mère m’a toujours parlé de cette période (avant même que je m’intéresse à la généalogie). Cet article a donc une importance particulière pour moi ^^
Belle et émouvante lecture. Quelle chance d’avoir reçu ce précieux témoignage !
Très touchée par ce récit, belle transmission de ce témoignage.