Challenge AZ : Lettre M comme contrat de Mariage
Le contrat de mariage est l’autre “Graal” du généalogiste, avec les inventaires après décès. Il est extrêmement riche en informations et permet de connaître ce que les époux apportent dans la communauté du mariage, quelles sont les clauses négociées par les parents en cas de décès d’un des conjoints et surtout de se faire une idée de la richesse du ménage et des familles.
Il faut savoir que nos ancêtres étaient beaucoup plus enclins que nous à réaliser un contrat de mariage. Bien qu’il ne soit pas obligatoire, neuf couples sur dix prenaient la peine d’en rédiger un. Pas besoin d’avoir beaucoup de biens, l’important était de protéger le conjoint survivant et ses enfants, en particulier la femme qui se retrouvait souvent sans ressources à la mort de son mari. Que ce soit avant ou après la Révolution, il est systématiquement passé devant un notaire. C’est donc dans les minutes notariales qu’il faudra le chercher (série E).
Pour savoir s’il existe un contrat de mariage passé par vos ancêtres il y a deux méthodes :
- Après 1850 : La loi du 10 juillet 1850 rend obligatoire la mention de ce contrat dans les actes de mariage. Vous trouverez donc directement la mention de son existence sur ceux-ci, il sera aussi mentionné la date et le nom du notaire ainsi que son lieu d’exercice. Il vous suffira ensuite de rechercher dans les minutes du notaire à la date indiquée.
- Avant 1850 : Il faut aller vérifier son existence dans les tables des contrats de mariages disponibles aux Archives (certains départements, comme l’Oise, les ont mis en ligne), puis aller le rechercher dans les minutes du notaire.
Vous pouvez également retrouver sa trace dans l’inventaire après décès d’un des époux, comme c’est le cas pour celui que je vais vous présenter aujourd’hui.
Contrat de mariage LE BOUTEILLER-CHALOT
Encore une fois dans ce challenge, je vais vous parler du couple Alfred Victor LE BOUTEILLER et Alice Marguerite CHALOT mes AAGP (vous allez finir par les connaître par cœur).
En vue de leur mariage, prévu le 30 juillet 1900 à Mortefontaine (Oise), les futurs époux et les parents d’Alice se présentent le 26 juillet de la même année devant Me DELAUNAY, notaire à Senlis, afin de réaliser un contrat de mariage.
On en retrouve mention dans l’acte de mariage :
Malheureusement il est introuvable aux Archives car les minutes de ce notaire ont disparu dans un incendie. J’avais donc perdu tout espoir de retrouver ce document. J’ai pu obtenir quelques informations supplémentaires en découvrant l’acte de succession d’Irène Alexandre Ange CHALOT (père d’Alice) dans lequel il est fait mention des dots de ses filles. J’ai ainsi pu voir que celle d’Alice était la plus conséquente, bien qu’elle ne soit ni la plus âgée ni la première à se marier :
- 13 000 francs pour Alice Marguerite ;
- 5 000 francs pour Blanche ;
- 5 000 francs pour Louise Irma.
C’est en retrouvant l’inventaire après décès d’Alice (dont je vous ai déjà parlé dans la lettre I) que j’ai pu voir le contenu de son contrat de mariage puisque le notaire, Me THOMAS, l’a retranscrit dans son intégralité.
Le contrat se divise en articles qui listent les biens apportés à la communauté par les époux, ainsi que les modalités de l’union. Par exemple :
Sous l’article deuxième
Il a été convenu que les époux ne seraient pas tenus des dettes et hypothèques d’un de l’autre antérieures au mariage ni de celles dont pourraient être grevés les biens et droits qui leur adviendraient et écheraient pendant le mariage par succession, donation, legs ou autrement […].
Cet article permet ainsi de protéger les époux des dettes de l’autre conjoint.
Sous l’article troisième
Le futur époux a déclaré apporter en mariage
1° Les habits linges à son usage personnel composant son trousseau et divers objets mobiliers, le tout d’une valeur de douze cents francs.
2° Huit obligations de quatre cents francs […] pour leur valeur de trois mille soixante-huit francs.
3° Deux obligations foncières de cinq cents francs trois pour cent du Crédit Foncier de France […] pour leur valeur de huit cent cinquante-six francs.
4° Une obligation de cinq cents francs et demi pour cent de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest […] pour sa valeur de quatre cent un francs, cinquante centimes.
5° Un bon du Comptoir National d’Escompte de Paris de la somme de mille francs productrice d’intérêts au taux de trois pour cent depuis le premier février mil neuf cent.
6° La somme de seize cent soixante-deux francs, quatre-vingt-dix centimes montant de son compte au Comptoir d’Escompte (une des banques ancêtres de la BNP).
7° Le montant d’un livret de la Caisse d’Épargne […] représentant un avoir au vingt-six mai dernier de soixante francs quatre-vingt-dix centimes.
8° Et la somme de trois cents francs en deniers comptants.
Total de l’apport du futur époux : neuf mille quatre-vingt-neuf francs, trente centimes.
Sous l’article quatrième
M. et Madame CHALOT ont constitué en dot à la future épouse leur fille en avancement d’hoirie (avancement de la part successorale), imputable d’abord sur ses droits dans la succession du premier mourant des donateurs, et, subsidiairement s’il y a lieu dans celle du survivant.
1° De la somme de mille francs en la valeur d’un trousseau composé d’effets et objets mobiliers à l’usage de la future épouse et du futur ménage.
2° Et de celle de douze mille francs en espèces.
Ensemble treize mille francs. Le tout livrable et payable le jour du mariage et dont la célébration à l’état civil devait en valoir quittance et décharge aux donateurs.
Il n’y a malheureusement pas de détails des meubles et objets fournis dans le trousseau. Impossible ici de récupérer la dot sans passer devant Monsieur le Maire. La somme est plus importante du côté de l’épouse comme il est d’usage à l’époque. En revanche les parents d’Alice ont prévu de pouvoir récupérer la dot dans certaines conditions :
Sous l’article cinquième
Les donateurs ont stipulé à leur profit un droit de retour de la dot constituée, en cas de décès de la donatrice sans enfant ni descendant, comme aussi pour le cas ou ses enfants et descendants viendraient eux-mêmes à décéder avant les donateurs, sans laisser de postérité. Toutefois il a été convenu que cette réserve de droit de retour ne ferait pas obstacle aux donations et legs en usufruit que la future épouse pourrait faire au futur époux pendant le mariage même avec dispense de caution et d’emploi.
On retrouve ici une des raisons qui ont sans doute poussé les époux à faire un acte de donation mutuelle en 1906.
Les articles 6 et 7 concernent les modalités du mariage, comme le fait que la communauté est réduite aux acquêts.
Sous l’article huitième
Il a été convenu que lors de la dissolution de la communauté la future épouse ou ses héritiers et représentants pourraient même en y renonçant reprendre la dot à elle constituée et tous les biens qui lui seraient échus pendant le mariage par succession, donation, legs ou autrement. Ces reprises seraient franches et quittes de toutes dettes et charges de la communauté […].
Les deux articles suivants concernent plus particulièrement leur activité de marchands bouchers. Les deux familles étant dans ce milieu, il est logique que le couple ouvre, après le mariage, sa propre affaire (ce qu’il fera à Montrouge, comme je l’ai présenté dans l’article B). Les familles de commerçants avaient coutume d’inscrire les modalités de répartition du fonds de commerce dans les contrats de mariage.
Sous l’article neuvième
Il a été stipulé que le survivant des futurs époux aurait le droit de prendre et conserver pour son compte personnel à titre de préciput et hors part, avant tout partage de la communauté, tels des meubles et objets mobiliers, effets, bijoux et linges dépendant de la communauté qu’il voudrait choisir jusqu’à concurrence d’une somme de mille francs, d’après la prisée de l’inventaire qui serait faite au décès du prémourant, ou cette somme en deniers comptants ou bien encore partie en meubles effets et objets mobiliers et partie en deniers comptants le tout à son choix.
Sous l’article dixième
Il a été stipulé que le survivant des époux aurait le droit de prendre et conserver pour son compte personnel et en pleine propriété tous fonds de commerce et établissements commerciaux que les époux ou l’un d’eux pourraient exploiter ensemble ou séparément lors du décès du premier mourant d’eux, même s’il s’agissait d’un fonds de commerce ou d’un établissement propre à l’un d’eux, ensemble la clientèle et l’achalandage y attachés, le matériel servant à l’exploitation et les matières premières, ainsi que les marchandises en dépendant à la charge de tenir compte aux héritiers et représentants du prédécédé de la portion ou la totalité leur revenant dans la valeur du tout d’après l’estimation qui en serait faite dans l’inventaire qui serait alors dressé par deux experts respectivement choisis par les parties ou nommés d’office à la réquisition de la partie la plus diligente par le Président du Tribunal de première instance du lieu du domicile des époux avec la faculté de s’en adjoindre un troisième en cas de désaccord. […] Ledit survivant aurait droit s’il usait de celle clause à la location des lieux où les fonds de commerce ou établissements commerciaux seraient exploités et où les époux auraient leur habitation personnelle, et ce, à la charge d’en payer seul les loyers et d’en exécuter les conditions à compter du jour du décès du premier mourant. […] Le survivant devrait faire connaître dans le délai de trois mois et quarante jours à partir du décès du prémourant sa volonté de prendre et conserver lesdits fonds de commerce et établissements commerciaux ; ce délai passé sans avoir fait connaître son intention, il serait censé avoir opté pour la conservation desdits fonds ou établissements commerciaux.
On voit quelle a été l’importance de ce contrat de mariage après la mort d’Alice. Alfred LE BOUTEILLER s’est servi de cet article au moment de l’inventaire après décès de sa femme pour faire connaître sa volonté de garder le commerce.
Le contrat de mariage est effectivement un document très précieux pour les généalogistes. Un grand merci aux volontaires qui vont relever tous ces tabellions
Quel précieux document! et cette réapparition du document perdu!! 😀
pour ce qui est de mes ancêtres, en tout cas depuis le 19¨siècle, ils ne faisaient hélas jamais de contrat!! :/ (et avant j’en doute également… sauf une ou deux exceptions peut-être… notamment pour des maîtres bouchers du 18° siècle… encore une recherche à tenter! 😀 )
En effet les familles de commerçants faisaient encore plus de contrats de mariage que les autres.
Alors malheureusement, et je ne sais pas si c’est spécifique à la Moselle, je trouve très peu de contrats de mariage, qui de plus, dont assez succincts lorsqu’ils existent. Une chance en tout cas que le contrat ait été retranscrit dans son intégralité par le notaire !
Oui je ne pense pas avoir la même chance avec les contrats des sœurs d’Alice. Les statistiques que j’ai données proviennent de la RFG (un numéro hors série sur les mariage) mais j’avoue ne pas en retrouver beaucoup non plus