Challenge AZ : Lettre Y comme la série Y, les établissements pénitentiaires
Les archives pénitentiaires ne sont pas souvent exploitées par les généalogistes. Il faut rencontrer un ancêtre ayant eu des déboires avec la Justice pour commencer à s’y intéresser.
La première étape passe souvent par une visite de la série U qui concerne les Archives judiciaires, pour retrouver un jugement. Mais lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée, il peut être très intéressant de se pencher sur la série Y.
Les documents les plus accessibles sont souvent les registres d’écrous. Ils permettent d’avoir des informations sur la date d’entrée, de sortie, la longueur de la peine mais également sur la date du jugement et le motif d’incarcération du détenu. C’est grâce à ce type de document que j’ai pu retrouver Marie Marguerite Valentine CHÉRON (dont je parle dans ma lettre A) par exemple.
Mais ce jour-là ce n’est pas elle que je recherchais, mais Marie Catherine Appoline CARPENTIER. Son nom vous dit quelque chose ? C’est normal il s’agit de la fille de Jean Baptiste Eloi CARPENTIER. Elle fait une petite apparition dans l’article consacré à la vente aux enchères suite au décès de son père.
L’invisible Marie Catherine Appoline CARPENTIER
Marie Catherine Appoline CARPENTIER est le premier enfant de Jean Baptiste Eloi CARPENTIER et de Catherine LEROUX. Elle naît le 19 avril 1810 dans le village d’Auchy-la-Montagne au Nord de l’Oise.
L’an mil huit cent dix le dix-neuf avril, douze heures du matin. Pardevant nous maire et officier de l’Etat civil de la commune d’Auchy-la-Montagne, canton de Crevecoeur, département de l’Oise, est comparu Jean Baptiste Eloi CARPENTIER, charron, âgé de vingt-trois ans, demeurant audit Auchy, lequel nous a présenté un enfant du sexe féminin né aujourd’hui à six heures du matin de lui déclarant et de Catherine LEROUX dit Gras son épouse, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Marie Catherine Appoline. Lesdites déclaration et présentation faites en présence de Louis Jacques RANSON arpenteur âgé de quarante-sept ans et de Louis Jacques LEROUX cordonnier âgé de trente-quatre ans, tous deux domiciliés audit Auchy, et ont les père et témoins signés avec nous le présent acte après que lecture leur en a été faite.
Transcription de l’acte de naissance de Marie Catherine Appoline CARPENTIER
Je suppose qu’elle se faisait appeler Appoline, car c’est sous ce nom qu’elle apparaît sur les recensements de 1831, 1836 et 1846.
Elle aura un frère et quatre sœurs, dont deux mourront en bas-âge. L’une d’elles, Marie Rose, est mon ancêtre directe, c’est donc sur elle que j’ai concentré mes recherches dans un premier temps, laissant de côté Appoline.
J’ai quand même retrouvé son acte de décès à Clermont en date du 5 octobre 1855. Une transcription est également disponible dans les archives d’Auchy-la-Montagne, ce qui m’a induite en erreur dans un premier temps. Étant assez vite passée sur son cas, j’ai fait une erreur de saisie dans mon logiciel et ai indiqué que sa ville de décès était Auchy et non Clermont.
L’an mil huit cent cinquante-cinq, le vendredi cinq octobre, à trois heures de relevée. Pardevant nous Philippe Simon Edouard FERET, adjoint au Maire, remplissant par délégation les fonctions d’officier de l’Etat civil de la ville de Clermont (Oise), sont comparus, à l’hôtel de ville, les sieurs Louis Victor GUIGNARD, propriétaire, âgé de trente-neuf ans, demeurant à Clermont rue de l’église n°17 et Louis Désiré BROYARD, employé âgé de trente ans, demeurant à Clermont rue des Masquerier n°4. Lesquels nous ont déclaré que Marie Catherine Appoline CARPENTIER, journalière, âgée de quarante-quatre ans, née à Auchy-la-Montagne (Oise) y demeurant, célibataire, fille de feus Jean Baptiste CARPENTIER et de Catherine LEROUX ; est décédée à Clermont, aujourd’hui à cinq heures du matin. Et après nous être assuré du décès nous avons rédigé le présent acte que les déclarants ont signé avec nous, après lecture faite.
Transcription de l’acte de décès de Marie Catherine Appoline CARPENTIER
Voici tout ce que j’ai pu trouver sur Marie Catherine CARPENTIER grâce aux Archives en ligne. Je sais donc qu’elle est issue d’une famille de six enfants, qu’elle a passé les premières années de sa vie dans sa ville natale d’Auchy-la-Montagne où elle exerce le métier de fileuse. En regardant son acte de décès on peut imaginer qu’elle est partie gagner sa vie dans la ville de Clermont.
Elle faisait donc partie des nombreux invisibles de ma généalogie.
Le passé « trouble » de Marie Catherine CARPENTIER
Le premier indice qui me montre que la vie d’Appoline n’a pas été de tout repos apparaît sur l’acte de vente aux enchères après le décès de son père, le 13 mars 1851. Il y figure la mention suivante concernant les participants :
Mr Louis Joseph PRÉVOST, principal clerc de notaire demeurant à Crèvecoeur, agissant au nom et comme mandataire de Demoiselle Appoline CARPENTIER célibataire majeure, sans profession, domiciliée à Auchy-la-Montagne et actuellement détenue à la maison centrale de force et de correction de Clermont aux termes de la procuration qu’elle lui a donné par acte devant Me GRIGNON, notaire à Clermont le sept mars mil huit cent cinquante et un, le brevet original de cette procuration est demeuré ci-joint annexé après avoir été vêtu de la mention d’usage.
Transcription de l’acte de vente aux enchères de Jean Baptiste Eloi CARPENTIER
Une procuration faite par Appoline le 7 mars 1851 est annexée à la vente.
Procuration d’Appoline CARPENTIER
Pardevant Me. GUIGNON, notaire à Clermont Oise soussigné, en présence des témoins instrumentaires ci-après nommés aussi soussignés,
A comparu :
Mlle Appoline CARPENTIER, célibataire majeure, sans profession, domiciliée à Auchy-la-Montagne, et momentanément détenue à la maison centrale de force et de correction de Clermont Oise.
Laquelle a par ce présent institué son mandataire __
Me Louis Joseph PREVOST principal clerc de notaire à Crèvecœur, auquel elle donne pouvoir de pour elle et en son nom régir, gérer et administrer tant activement que passivement tous ses biens et affaires présents et futurs. __ la succession de M Jean Baptiste CARPENTIER, père de la comparante, décédé à Auchy-la-Montagne, le six mars présent mois, dont la dite demoiselle CARPENTIER est habile à se porter héritière pour partie.
Faire procéder à toutes apposition de scellée, ou s’y opposer, faire lever avec ou sans description les scellés apposés, faire faire inventaire et pendant le cours des opérations en traduire tous référés ou y défendre.
Prendre connaissance des forces et charges de la succession, l’acception purement et simplement ou sous différentes dispositions entre vifs ou testamentaires.
Vendre tout ou partie du mobilier de la succession soit à l’amiable soit en accomplissant les formalités judiciaires, toucher le prix du mobilier vendu.
Céder et transférer au cours de la bourse que le mandataire jugera utile toutes __ de rente __ l’Etat qui dépendraient de la succession, commettre tout agent de change, signer tous transferts, faire toutes affirmations, toucher le prix du transfert.
Faire tous transports de créance avec ou sans garantie en toucher le prix.
Toucher et recevoir toutes les sommes qui peuvent et pourront être dues à tous titres soit à la succession soit à la comparante personnellement.
Payer et acquitter toutes les [sommes] qui sont et seront dues par la dite succession et par la comparante, notamment les droits de succession qui pourront être occasionnés par le décès de M. CARPENTIER.
Procéder soit à l’amiable, __ justice au partage de cette succession, y __ exiger tous rapports, composer les masses, __ , les tirer au sort ou les distribuer à l’amiable, accepter celui qui échera ou sera __ à la comparante, laisser tous objets __, donner tous pouvoirs pour les administrer pour en suivre le recouvrement, payer ou toucher toutes soultes.
__ si le mandataire le __ utile les biens immeubles appartenant à la comparante, mais pour un temps qui ne pourra pas __ trois récoltes y compris celle de l’année courante, __ les faire cultiver pour le compte de la dite demoiselle et vendre annuellement les récoltes sur pied, __ tous fermages.
En cas de difficultés ou à défaut de paiement exercer toutes poursuites, paraitre devant tous __ compétences, traiter, transiger, faire toutes __ tout payement et arrête, les faire exécuter ou donner __.
De toutes sommes reçues ou __ donner ou retirer quittances, consentir toutes subrogations __ ou sans garantie, remettre tous titres et pièces, renoncer à __ droits et action résolutoire, consentir tous désistement __ privilège et toutes mains levées d’hypothèque, saisir et opp__, le tout avant ou après paiement.
Aux effets ci-dessus payer et __, élire domicile substituer et généralement faire le nécessaire.Dont acte fait et passé à Clermont __ au greffe de la maison de correction où la comparante a été amenée comme lieu de liberté.
Transcription de la procuration de Marie Catherine Appoline CARPENTIER
L’an mil huit cent cinquante et un le sept mars.
En présence de Mr Désiré FORESTIER, et de __ tous deux employés de la maison centrale, demeurant à Clermont __ qui ont déclaré l’identité et la __ de comparante.
Et encore en présence de Mr Pierre Auguste __ , fripier et de Mr Pierre François Alexandre PROUSSÉ, clerc d’huissier, demeurant __ Clermont, témoins instrumentaires.
Et a la comparante signé avec les témoins et le notaire, après lecture faite.
Malheureusement la transcription est assez lacunaire car l’acte est relié et impossible à ouvrir pour lire correctement le texte.
Appoline a donc fait un séjour dans la maison centrale de Clermont, réservée aux femmes ayant une peine de plus d’un an de prison ou condamnées aux travaux forcés.
Ne connaissant pas la date du jugement, ni le tribunal en charge de l’affaire, le plus simple est de feuilleter les registres d’écrous de la maison centrale depuis le 7 mars 1851 et en remontant le temps jusqu’à retrouver Appoline.
Ces registres sont normalement consultables en série Y, mais aux Archives de l’Oise, ils sont en série W à partir de 1830 (normalement réservée aux Archives récentes, après 1940).
J’ai ainsi pu connaître la date du jugement passé à Beauvais le 26 octobre 1849. La condamnation est de trois ans de réclusion pour récidive de vol avec circonstances atténuantes. Je n’ai pas pu retrouver cet acte, ni les précédentes condamnations, mais grâce aux tables des jugements j’ai pu avoir accès à quelques informations.
Appoline a donc été condamnée pour la première fois le 24 février 1842 pour vol de récoltes détachées du sol à 1 mois d’emprisonnement, puis une deuxième fois le 11 mars 1843 pour le même motif à 13 mois d’emprisonnement et 50 francs d’amende.
Son passage à Clermont était donc sa troisième condamnation pour le même motif ce qui explique sans doute l’importance de la peine. A l’époque le vol de récoltes déjà détachées du sol, ou glanage par opposition au maraudage, était passible d’une peine de 15 jours à 2 ans d’emprisonnement et de 16 à 200 francs d’amende.
Après avoir effectué sa peine, elle retourne dans son village d’Auchy-la-Montagne en 1852 d’après le registre d’écrous. Cependant l’acte de décès retrouvé à Clermont en 1855 laisse penser que ce n’était pas sa dernière confrontation avec la justice. Si l’adresse de la prison n’est pas mentionnée dans l’acte, cette idée est renforcée par le fait que les déclarants sont les mêmes que pour le décès de Marie Marguerite Valentine CHÉRON, l’empoisonneuse de Mortefontaine.
Je n’ai pas encore eu le temps de rechercher cette dernière condamnation. Ma prochaine visite aux Archives Départementales de l’Oise sera donc sûrement consacrée à cette tâche. Grâce à l’inventaire en ligne j’ai également pu repérer plusieurs côtes intéressantes en série Y pour compléter mes connaissances sur Appoline comme :
- Les dossiers individuels des détenues de la maison centrale de Clermont ;
- Les dossiers individuels des détenues décédées.
C’est grâce à Appoline que j’ai pu découvrir les fonds judiciaires et par la même occasion, quelques autres femmes plus éloignées condamnées en même temps qu’elle. Appoline a sans aucun doute côtoyé Valentine CHÉRON lors de ses séjours à Clermont, étaient-elles proches ? Ont-elles échangé plus que des regards ? Impossible de le savoir.
Jusqu’à présent la seule « particularité » d’Appoline était d’être une vieille fille, mais elle est devenue l’une des personnalités les plus étonnantes et intéressantes de mon arbre.
La pauvreté au XIXe siècle est telles que certaines femmes sont obligées de voler pour se nourrir, la grande majorité des femmes codétenues avec Appoline sont emprisonnées pour vols et condamnées à plus d’un an d’incarcération.
Oui, quelle misère… Dès qu’on commence à étudier les anciennes archives judiciaires, on constate que Jean Valjean n’était pas hélas qu’une fiction…